Poèmes
I
42, Blancs Manteaux : ton château
Entrez en ce cirque amateur
où quelques élégants barrissent
avec une noble lenteur.
Entrez, entrez, gentes complices
en ces lieux fort délicieux
et croyez ce que voient vos yeux.
Ne craignez point les ombres lisses
et les brumes au-dessus du lit.
Le roi respire
et, quand il pleure,
ouvrez vos bras pour qu’il s’y glisse.
II
Allons séduire encore
avant qu’on nous enterre
sous les flots subjuguants
de quelque Lorelei
et, dénichons de nos pattes griffues
les quelques bonbons mous
qui s’offrent sous la terre
à nous, les désappointus.
Allons au printemps chaud
et riche, faire les beaux
abandonnant ici, - là-même ! - nos écailles,
en rigolant des dents
et roulant de la taille
comme si on était sûrs
que la honte était bue !
III
Du temps heureux, t’en souvient-il ?
De l’eau fraîche et des mots d’amour
où il semblait si impossible
que l’on soit séparés un jour
Nos ébats de fond jusqu’aux larmes
le sel au bout de tes cils
nos promenades et le charme
de nos longs débats subtils.
Ta bouche au souffle carmin
cousue par mille et un fils
aux tournoiements nus de nos mains
mon amour, t’en souvient-il ?
Notre joie à nous reconnaître,
notre foi immuable en nous
tout cela a pu disparaître…
Sommes-nous devenus fous ?
Aujourd’hui, nos nuits sont vides
et nos âmes pèsent lourd…
Mon amour, comment se peut-il
qu’on ne s’aime plus, un jour ?
IV
L’azur caresse
mon bateau
et je paresse
il est si tôt
La pluie qui bat
sur ma terrasse,
la terre qui est là
sous ma nasse.
Les bruits de pas
qui retentissent,
la nuit s’en va
dans les coulisses.
Sur le parquet,
les mouches jouent
autour d’un paquet
de cachous.
Sur une planche violoniste,
la valse lente de l’eau triste
m’avait donné rendez-vous.
V
Ah ! que la vie est lente à boire !
Rien à voir avec la ciguë
rien à voir, de-ci ou de là
de l’ambigu, de l’embarras
de l’embaumé, de l’adéquat…
Nul fil inducteur ne dépasse
des jupes, ni des jupons blancs,
sous les tonnelles, un sieur printemps
vient chaque année pencher la tête
mais il est vieux, aigri et lent.
On s’appapouch’ra d’un saloir
pour mettre un peu son grain sodé
comme il est bon, dans la converse,
de faire exergue à deux idées
qui se bousculent au parloir….
Ah ! que la vie est lente à boire !
VI
De l’encrier
entends crier
la lente et noire habitante
lourde et stagnante
lorsque vient la troubler
pour une nage intense
la baigneuse d’acier
qui court toute nue se sécher
sur la serviette de papier.
VII
Gens de cirque
qui sont agents
de la bonne circulation
de mon sang,
clowns tordus
aux nez de balles
disent : « dors-tu ? »
aux belles du rouge équipage.
À chaque battement
d’une veine vaisseau
les fous de scène
aux képis de feutrine
tendent leurs verres
et saouls comme des boules
indiquent au sang
le sens de sa coule.
VIII
Voyez cet air important
que leur donne,
l’air qu’ils ont lorsque quittant
- Dieu pardonne !
leur aimée ou leur amant.
Voyez cet air important.
Cet air triste et palpitant
de madone
tandis qu’ils vont annonçant
la maldonne
qu’ils ont faite en vous aimant,
voyez cet air innocent
- plein d’aisance !
car les voilà en effet
d’être à même d’exister
par l’absence !
Et fondus en larmes et
en partance
écoutez les regretter
la malchance
qui les fit aimer de vous
c’est à eux-mêmes que, fous,
ils pensent !
Ils se plaisent à présent
à penser
que dans vos lits maintenant
délaissés
ne passeront que des gueux
malpropres à vous passer d’eux
dont vous étiez si heureux
d’l’existence !
Regardez les donc un peu,
ces féroces !
Voyez les faire les bossus
… Et la bosse !
IX
Vieille maison de velours
aux murs citoyens
au plancher crisseur de pas
à l’odeur de linge
où s’agitent, pathétiques,
en doigts de la main
les cinq filles de la famille
les cinq balles du panier,
les cinq crustacées.
Maison crisseuse de pas
au départ,
prison sourde où chaque doigt
se sépare,
maison voleuse de vie
sans cesse déménageant
et maintenant,
et maintenant,
vieille maison de velours
faiseuse de passé,
serpente aux mille pieds
mais maison
mais maison
jusqu’à ce que périsse
dans l’étalage odieux de ses tripes
et de ses monuments.
X
Tout de miel vêtu
au regard malarien
les mains pendues à leurs ficelles,
la bouche fendue dans un coin,
ta démarche amnésique
et ton cou à encore
embrassé encore,
tes poches à jouets
scandaleuses et vaines ,
tout cela se dirige en son impunité.
Et alors,
où as-tu acheté ta beauté ?
XI
J’aimerais périr d’une virgule
allongée sur un sofa mou
tête penchée sur l'agenda
d’une autre, qui l’aurait perdu.
Et, feuilletant l’emploi du temps
d’une femme-enfant adultère,
je sentirais bien la mourance
m’envahir peu à peu les nerfs.
Il y faudrait une musique
pour mélopée sur canapé,
quelqu’un dirait d’un ton tragique :
« la virgule a encore frappé ! »
Ou bien encore qu’un point m’entame
d’un coup sec, l’aorte ou le cœur
qu’il ponctue si fort mes artères
qu’on s’aperçût dans les salons
que ma fin n’avait pour mystère
qu’un petit point, en suspension.
XII
Mon tendre, savez-vous…
J’aime tant vous connaître !
Un peu, m’aimerez-vous
ou êtes-vous un traître ?
XIII
Nonobstant mes manies
et tics salvateurs,
malgré tous mes amis
mes amours et mes sœurs…
Cependant, avanie,
nonobstant mes docteurs,
je cours vers la folie
comme un pain vers un beurre.
XIV
De la contradiction
naquit la contre-indication
et ainsi donc, l’incident.
Par hasard et par miracle
on n’en fut pas mécontent
car, ému par le spectacle,
chacun se fit racontant.
Il fut utile et fatal
d’avoir démesurément
confondu état fœtal
et césure de paravent…
Car chacun est mort depuis,
de mort-évidence
et de tout il fut déduit
l’extrême importance.
XV
Je pleure d’un film à l’eau
à l’eau, à l’eau de rose
moi, j’trouve ça plutôt beau
de l’eau venant des roses
Une expression bateau
dit-on pour l’eau de rose
le bateau va sur l’eau
mais ça, c’est autre chose.
Je pleure comme une nouille
bouillie à l’eau des roses
et menée en bateau
par une nuit d’hypnose
Je pleure comme un citron
comme un café qui siffle
je pleure comme un oignon
ou comme un as de trifle.
XVI
Il pleut des cordes de guitare,
des cordes lisses, des cordes à nœuds
des cordes à linge d’étendage,
des cordes à sauter si tu veux,
d’épaisses cordes d’amarrage,
des cordes de piano à queue.
Il pleut des cordes
toutes s’accordent
à nous tomber dessus en hordes.
Il pleut des cordes
toutes s’accordent
à nous tomber dessus bien drues.
Le vent nous vole dans les plumes
et s’enroule dans nos cheveux
cornes de bouc, cornes de brume
il souffle sans miséricorde
autour des cornes des licornes
et cornes d’escargot baveux…
Il souffle à décorner les bœufs.
XVII
Je me demande, dit la limande
Ah ! vraiment je ne comprends pas
qu’on m’attrape et puis qu’on me vende
au marché alors qu’il n’y a
rien à manger sur ma plate-bande
(car je suis plate comme une limande)
Ah ! je me demande pourquoi.
Je vois les pêcheurs qui attendent
que je vienne mordre à leur appât
Sont-ce mes yeux pas en amandes
mes deux yeux ronds sur mon flan droit
rangés du même côté ensemble
qui les envoûtent et qui les rendent
tous tellement amoureux de moi ?
Ah ! je serais vraiment contente
de savoir si d’autres limandes
se demandent ça, elles aussi…
Je vais faire un thé à la menthe
qu’elles n’hésitent pas, si ça les tente,
à venir boire la tasse ici.
XVIII
D’une saison, enfin
la lente mise en forme,
la chute en pamoison
de ses bourgeons énormes.
D’un pays d’Orient
l’accumulée richesse
chaleureux, souriant
puis épris de tristesse
Et d’une fille aussi
la taille fine et belle
et les mille soucoupes
où les tasses se fêlent
et puis ses yeux de loupe
irrités, rougeoyants
où passent en bâillant
tant d’hommes bien connus
dévêtus, lacrimalement,
usés, comme en déconvenue.
XIX
Ceux dont on a fait autrefois
autre chose
autre chose
qui reviennent quelquefois
nous parler bas.
Ceux qui murmurent dans ta tête,
Blandine entourée de lions,
qu’il faut faire un petit pas
pour le mettre dans les grands
pendant qu’il est encore temps.
Parce qu’après reviendra
la déesse Inélucte
munie de ses trésors de passé rêvassant
et qu’elle décidera, conformément au culte
de n’épargner personne
qui écoutât son chant.
Que rien, à ce moment
ne fera que s’éloigne
l’heure évitée du jugement
où tous ceux d’autrefois
t’apporteront, adulte,
l’imprescriptible écho
de tes chagrins d’enfant.
XX
Faudra partir,
c’est sûr, un jour,
afin de poursuivre une image
faudra dire
c’est fini l’amour,
il est rompu, le mariage.
Faudra ramasser tes rancoeurs
et baluchonner tes mirages
pour t’en aller chercher ailleurs
d’autres bonheurs sur d’autres pages.
Il y aura,
c’est sûr, encore,
des tortures et des folles rages
des bruits de mort
des mots de peur
et des essais de maquillage.
Tu vêtiras de bleu ton cœur
et tu poseras ta valise.
Sans regret : le droit au bonheur
t’aura, pour un moment conquise.
Et puis, tu t’en iras en pleurs,
et, là, finira ton passage.
Et puis, tu t’en iras en pleurs,
elle n’est pas sage, ta douleur !
XXI
À tout prendre, tout prendre sur soi,
tout plaisir surseoit.
Qu’on le dise aux grises mines
à qui, comme à moi,
on a gonflé l’étamine
de « tu peux, tu dois »
Il faut rendre à Pierre
ce qui lui échoit
et ne point le dévêtir
pour habiller qui qu’ce soit.
Mais, ce qu’on a pris sur soi,
qui nous le rendra ?
Qu’on le dise aux ironiques
qui n’ont plus d’habits
tant leur compte en sur-soistique
était en débit.
XXII
C’est la blonde à pois roux
qu’on pourrait croire méchante
tant son visage est doux
quand son âme est violente.
Son masque, quelquefois,
fond, comme font les cires,
quand chacun de tes doigts
se braille pour la lire.
Baisse un peu l’abat-jour
et prends ton para-nuit
pour lui parler d’amour :
L’anglaise à peau d’ivoire
a le cœur déchiré
mais on ne peut la voir
ni rire ni pleurer.
XXIII
Pas un fifre de fifrelin
pas une once, une once d’ondine
pas un nom, même dans le bottin
et… que faut-il que j’imagine ?
Une éperdue en bas de laine
court s’enquérir de son amant
elle court et court à perdre haleine
seule, elle ne sait plus comment
Elle crie : « Je suis la danaïde.
Mon tonneau est toujours vide. »
Mais, là, personne n’entend rien.
Pas une larme d’archevêque
roulant sur joue comme perle,
pas un linge, mouillé ou sec
échappé un jour d’une main.
Plus un gramme de drame vain,
plus une goutte de colère
plus de sourire ni de chagrin
plus un mot,
plus un fifrelin.