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09 Feb 2018

Poèmes

                        I

42, Blancs Manteaux : ton château

 

Entrez en ce cirque amateur

où quelques élégants barrissent

avec une noble lenteur.

 

Entrez, entrez, gentes complices

en ces lieux fort délicieux

et croyez ce que voient vos yeux.

 

Ne craignez point les ombres lisses

et les brumes au-dessus du lit.

Le roi respire

et, quand il pleure,

ouvrez vos bras pour qu’il s’y glisse.

 

 

                 II

 

Allons séduire encore

avant qu’on nous enterre

sous les flots subjuguants

de quelque Lorelei

et, dénichons de nos pattes griffues

les quelques bonbons mous

qui s’offrent sous la terre

à nous, les désappointus.

 

        Allons au printemps chaud

        et riche, faire les beaux

        abandonnant ici,  - là-même ! - nos écailles,

        en rigolant des dents

        et roulant de la taille

        comme si on était sûrs

        que la honte était bue !

 

                         

                              III

 

Du temps heureux, t’en souvient-il ?

De l’eau fraîche et des mots d’amour

où il semblait si impossible

que l’on soit séparés un jour

 

Nos ébats de fond jusqu’aux larmes

le sel au bout de tes cils

nos promenades et le charme

de nos longs débats subtils. 

 

Ta bouche au souffle carmin

cousue par mille et un fils

aux tournoiements nus de nos mains

mon amour, t’en souvient-il ?

 

Notre joie à nous reconnaître,

notre foi immuable en nous

tout cela a pu disparaître…

Sommes-nous devenus fous ?

 

Aujourd’hui, nos nuits sont vides

et nos âmes pèsent lourd…

Mon amour, comment se peut-il 

qu’on ne s’aime plus, un jour ?

 

 

          IV

 

L’azur caresse

mon bateau

et je paresse

il est si tôt

 

La pluie qui bat

sur ma terrasse,

la terre qui est là

sous ma nasse.

 

Les bruits de pas

qui retentissent,

la nuit s’en va

dans les coulisses.

 

Sur le parquet,

les mouches jouent

autour d’un paquet

de cachous.

 

Sur une planche violoniste,

la valse lente de l’eau triste

m’avait donné rendez-vous.

 

 

 

                                  V

             

                Ah ! que la vie est lente à boire !

                Rien à voir avec la ciguë

                rien à voir, de-ci ou de là

                de l’ambigu, de l’embarras

                de l’embaumé, de l’adéquat…

 

                Nul fil inducteur ne dépasse

                des jupes, ni des jupons blancs,

                sous les tonnelles, un sieur printemps

                vient chaque année pencher la tête

                mais il est vieux, aigri et lent.

 

               On s’appapouch’ra d’un saloir

               pour mettre un peu son grain sodé

               comme il est bon, dans la converse,

               de faire exergue à deux idées

               qui se bousculent au parloir….

 

               Ah ! que la vie est lente à boire !

 

 

 

 

 

                      

 

 

 

 

 

                                  VI

                      

                        De l’encrier

                        entends crier

                        la lente et noire habitante

                        lourde et stagnante

                        lorsque vient la troubler

                        pour une nage intense

                        la baigneuse d’acier

                        qui court toute nue se sécher

                        sur la serviette de papier.

 

 

 

 

                             VII

                         

                          Gens de cirque

                          qui sont agents

                          de la bonne circulation

                          de mon sang,

                          clowns tordus

                          aux nez de balles

                          disent :  « dors-tu ? »

                          aux belles du rouge équipage.

 

                           À chaque battement

                           d’une veine vaisseau

                           les fous de scène

                           aux képis de feutrine

                           tendent leurs verres

                           et saouls comme des boules

                           indiquent au sang

                           le sens de sa coule.

 

 

 

 

 

 

                     VIII

 

Voyez cet air important

que leur donne,

l’air qu’ils ont lorsque quittant

- Dieu pardonne !

leur aimée ou leur amant.

Voyez cet air important.

 

 

Cet air triste et palpitant

de madone

tandis qu’ils vont annonçant

la maldonne

qu’ils ont faite en vous aimant,

voyez cet air innocent

- plein d’aisance !

car les voilà en effet

d’être à même d’exister

par l’absence !

 

 

Et fondus en larmes et

en partance

écoutez les regretter

la malchance

qui les fit aimer de vous

c’est à eux-mêmes que, fous,

ils pensent !

                                                                            

Ils se plaisent à présent

à penser

que dans vos lits maintenant

délaissés

ne passeront que des gueux

malpropres à vous passer d’eux

dont vous étiez si heureux

d’l’existence !

Regardez les donc un peu,

ces féroces !

Voyez les faire les bossus

… Et la bosse !

 

                                 

                            IX

 

Vieille maison de velours

aux murs citoyens

au plancher crisseur de pas

à l’odeur de linge

où s’agitent, pathétiques,

en doigts de la main

les cinq filles de la famille

les cinq balles du panier,

les cinq crustacées.

 

Maison crisseuse de pas

au départ,

prison sourde où chaque doigt

se sépare,

maison voleuse de vie

sans cesse déménageant

et maintenant,

et maintenant,

vieille maison de velours

faiseuse de passé,

serpente aux mille pieds

mais maison

mais maison

jusqu’à ce que périsse

dans l’étalage odieux de ses tripes

et de ses monuments.

 

 

 

         X

 

Tout de miel vêtu

au regard malarien

les mains pendues à leurs ficelles,

la bouche fendue dans un coin,

 

ta démarche amnésique

et ton cou à encore

embrassé encore,

tes poches à jouets

scandaleuses et vaines ,

tout cela se dirige en son impunité.

Et alors,

où as-tu acheté ta beauté ?

 

 

 

                       XI

 

J’aimerais périr d’une virgule

allongée sur un sofa mou

tête penchée sur  l'agenda

d’une autre, qui l’aurait perdu.

Et, feuilletant l’emploi du temps

d’une femme-enfant adultère,

je sentirais bien la mourance

m’envahir peu à peu les nerfs.

 

Il y faudrait une musique

pour mélopée sur canapé,

quelqu’un dirait d’un ton tragique :

« la virgule a encore frappé ! »

 

Ou bien encore qu’un point m’entame

d’un coup sec, l’aorte ou le cœur

qu’il ponctue si fort mes artères

qu’on s’aperçût dans les salons

que ma fin n’avait pour mystère

qu’un petit point, en suspension.

 

 

                             XII

                   

                     Mon tendre, savez-vous…

                     J’aime tant vous connaître !

                     Un peu, m’aimerez-vous

                     ou êtes-vous un traître ?

 

 

                                        

                            XIII

 

Nonobstant mes manies

et tics salvateurs,

malgré tous mes amis

mes amours et mes sœurs…

 

Cependant, avanie,

nonobstant mes docteurs,

je cours vers la folie

comme un pain vers un beurre.

 

                                

 

                           XIV

 

De la contradiction

naquit la contre-indication

et ainsi donc, l’incident.

 

Par hasard et par miracle

on n’en fut pas mécontent

car, ému par le spectacle,

chacun se fit racontant.

 

Il fut utile et fatal

d’avoir démesurément

confondu état fœtal

et césure de paravent…

 

Car chacun est mort depuis,

de mort-évidence

et de tout il fut déduit

l’extrême importance.

 

 

                               XV

 

Je pleure d’un film à l’eau

à l’eau, à l’eau de rose

moi, j’trouve ça plutôt beau

de l’eau venant des roses

 

Une expression bateau

dit-on pour l’eau de rose

le bateau va sur l’eau

mais ça, c’est autre chose.

 

Je pleure comme une nouille

bouillie à l’eau des roses

et menée en bateau

par une nuit d’hypnose

Je pleure comme un citron

comme un café qui siffle

je pleure comme un oignon

ou comme un as de trifle.

 

                                  

 

                               XVI

 

Il pleut des cordes de guitare,

des cordes lisses, des cordes à nœuds

des cordes à linge d’étendage,

des cordes à sauter si tu veux,

d’épaisses cordes d’amarrage,

des cordes de piano à queue.

 

Il pleut des cordes

toutes s’accordent

à nous tomber dessus en hordes.

Il pleut des cordes

toutes s’accordent

à nous tomber dessus bien drues.

 

Le vent nous vole dans les plumes

et s’enroule dans nos cheveux

cornes de bouc, cornes de brume

il souffle sans miséricorde

autour des cornes des licornes

et cornes d’escargot baveux…

 

Il souffle à décorner les bœufs.

 

 

 

 

 

               XVII

 

Je me demande, dit la limande

Ah ! vraiment je ne comprends pas

qu’on m’attrape et puis qu’on me vende

au marché alors qu’il n’y a

rien à manger sur ma plate-bande

(car je suis plate comme une limande)

Ah ! je me demande pourquoi.

 

Je vois les pêcheurs qui attendent

que je vienne mordre à leur appât

Sont-ce mes yeux pas en amandes

mes deux yeux ronds sur mon flan droit 

rangés du même côté ensemble

qui les envoûtent et qui les rendent

tous tellement amoureux de moi ?

 

Ah ! je serais vraiment contente

de savoir si d’autres limandes

se demandent ça, elles aussi…

Je vais faire un thé à la menthe

qu’elles n’hésitent pas, si ça les tente,

à venir boire la tasse ici.

 

 

 

 

            XVIII

 

D’une saison, enfin

la lente mise en forme,

la chute en pamoison

de ses bourgeons énormes.

 

D’un pays d’Orient

l’accumulée richesse

chaleureux, souriant

puis épris de tristesse

 

Et d’une fille aussi

la taille fine et belle

et les mille soucoupes

où les tasses se fêlent

et puis ses yeux de loupe

irrités, rougeoyants

où passent en bâillant

tant d’hommes bien connus

dévêtus, lacrimalement,

usés, comme en déconvenue.

 

                                 

                                XIX

 

Ceux dont on a fait autrefois

autre chose

autre chose

qui reviennent quelquefois

nous parler bas.

 

Ceux qui murmurent dans ta tête,

Blandine entourée de lions,

qu’il faut faire un petit pas

pour le mettre dans les grands

pendant qu’il est encore temps.

 

Parce qu’après reviendra

la déesse Inélucte

munie de ses trésors de passé rêvassant

et qu’elle décidera, conformément au culte

de n’épargner personne

qui écoutât son chant.

 

Que rien, à ce moment

ne fera que s’éloigne

l’heure évitée du jugement

 

où tous ceux d’autrefois

t’apporteront, adulte,

l’imprescriptible écho 

de tes chagrins d’enfant. 

 

 

                          XX

Faudra partir,

c’est sûr, un jour,

afin de poursuivre une image

faudra dire

c’est fini l’amour,

il est rompu, le mariage.

 

Faudra ramasser tes rancoeurs

et baluchonner tes mirages

pour t’en aller chercher ailleurs

d’autres bonheurs sur d’autres pages.

 

Il y aura,

c’est sûr, encore,

des tortures et des folles rages

des bruits de mort

des mots de peur

et des essais de maquillage.

 

Tu vêtiras de bleu ton cœur

et tu poseras ta valise.

Sans  regret : le droit au bonheur

t’aura, pour un moment conquise.

 

Et puis, tu t’en iras en pleurs,

et, là, finira ton passage.

Et puis, tu t’en iras en pleurs,

elle n’est pas sage, ta douleur !

 

                            

                   XXI

 

À tout prendre, tout prendre sur soi,

tout plaisir surseoit.

 

Qu’on le dise aux grises mines

à qui, comme à moi,

on a gonflé l’étamine

de « tu peux, tu dois »

 

Il faut rendre à Pierre

ce qui lui échoit

et ne point le dévêtir

pour habiller qui qu’ce soit.

Mais, ce qu’on a pris sur soi,

qui nous le rendra ?

 

Qu’on le dise aux ironiques

qui n’ont plus d’habits

tant leur compte en sur-soistique

était en débit.

 

                        

                         XXII

 

C’est la blonde à pois roux

qu’on pourrait croire méchante

tant son visage est doux

quand son âme est violente.

 

Son masque, quelquefois,

fond, comme font les cires,

quand chacun de tes doigts

se braille pour la lire.

 

Baisse un peu l’abat-jour

et prends ton para-nuit

pour lui parler d’amour :

 

L’anglaise à peau d’ivoire

a le cœur déchiré

mais on ne peut la voir

ni rire ni pleurer.

 

 

                     XXIII

 

Pas un fifre de fifrelin

pas une once, une once d’ondine

pas un nom, même dans le bottin

et… que faut-il que j’imagine ?

 

Une éperdue en bas de laine

court s’enquérir de son amant

elle court et court à perdre haleine

seule, elle ne sait plus comment

 

Elle crie : « Je suis la danaïde.

Mon tonneau est toujours vide. »

 

Mais, là, personne n’entend rien.

 

Pas une larme d’archevêque

roulant sur joue comme perle,

pas un linge, mouillé ou sec

échappé un jour d’une main.

 

Plus un gramme de drame vain,

plus une goutte de colère

plus de sourire ni de chagrin

plus un mot,

plus un fifrelin.

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